Le village de Sy, la cache méconnue de l’Ardenne belge
Hommage aux Juifs qui s’y sont réfugiés et au courage de ses habitants
Dans les grottes, les forêts et les caches souterraines, les habitants du petit village de Sy, près de Hamoir, en Ardenne belge, ont caché de nombreux Juifs et résistants pendant la seconde guerre mondiale. Uniquement atteignable par une route et une gare, enchâssée entre des rochers abrupts et une rivière, la localité, située dans un cul-de-sac et composée à l’époque de 250 habitants, était, de par sa localisation géographique, naturellement protégée. Le courage et l’humanité des Sygois a fait le reste : Sy fut secrètement un véritable point de résistance tenace face à l’occupation allemande nazie.

Sy
Ils étaient Juifs, bohémiens, tziganes, slaves, homosexuels, Témoins de Jehova, vagabonds, noirs, francs-maçons, malades psychiatriques, résistants de l’Armée Blanche et opposants politiques. Tous furent recherchés, poursuivis, arrêtés et exterminés dans les camps de concentration par le régime allemand pendant la seconde guerre mondiale. Les nazis persécutèrent tout particulièrement « ceux qu’ils considéraient “racialement inférieurs” : les Juifs. Ils étaient perçus comme des ennemis de par leur “race” et furent soumis à des arrestations et à des internements arbitraires. À partir de 1941, ils furent systématiquement assassinés (…). Les traitements les plus brutaux dans les camps de concentration nazis étaient réservés aux Juifs. » peut-on lire dans The Holocaust Encyclopedia[1]. Pourtant, comme l’explique Maurice Vrancken, un Sygois né en 1929, témoin de ces temps sombres, « nous étions tous humains, et tous belges. Ce sont des citoyens belges de race juive qui ont été assassinés. Beaucoup de Belges non juifs ont caché et risqué leurs vies pour sauver leurs concitoyens injustement pourchassés. Ce fût le cas, plus que partout ailleurs, dans le village de Sy. »

Maurice Vrancken
Sy, petit village reculé de la commune de Ferrière et ancien lieu de villégiature, était avant la guerre animé de visites touristiques et comprenait neuf hôtels. Il est aujourd’hui un hameau accueillant où l’on s’évade quelques jours ; il y reste un hôtel, un camping, un restaurant et un club d’alpinisme. Situé au bord de l’Ourthe sur la rive droite à un endroit où les versants de la vallée sont escarpés, les rochers de Sy étaient et sont toujours pratiqués par les alpinistes. Il y était dit de coutume : « si on a réussi à grimper tous les rochers de Sy, alors, on est prêt à « faire le Mont Blanc ».
Pour accéder au village, les routes venant de Filot et de Vieuxville se rejoignent sur les hauteurs en un seul et unique tronçon qui y descend pour se terminer en cul-de-sac au bord de la rivière. Des passerelles étroites le long des deux ponts de chemin de fer permettent aux seuls piétons et cyclistes de se rendre sur la rive opposée de l’Ourthe. La gare du village est desservie par la ligne Liège-Jemelle.
Une fois le pays envahi par l’armée d’Hitler, des liens ayant été établis entre les restaurateurs et leurs clients au fil des années, des Juifs et résistants pourchassés vinrent se réfugier dans les hôtels désormais vides. La nuit, ils se réfugiaient dans les bois, les grottes ou même dans des citernes prévues à cet effet. « C’est la nuit, que les Allemands faisaient les descentes dans les maisons pour chercher les Juifs. Vers 5 heures du matin. Ils ne restaient pas dans les maisons la nuit », explique Malou Dutz, née en 1928, membre d’une famille du village.
Âgé de 11 ans quand la guerre a commencé, mais en contact tout au long de sa vie avec les habitants de Sy où vivaient certains membres de sa famille et où il vit actuellement, Maurice Vrancken, est une des dernières personnes à pouvoir raconter ce qui s’y est passé pendant la guerre. « Beaucoup d’habitants cachaient des Juifs, mais nous ne pouvions pas en parler bien-sûr. Si un Belge ou toute autre personne qui cachait ou protégeait des juifs se faisait prendre par les Allemands, il se faisait assassiner tout comme eux. » explique-t-il. « La peur nous nouait le ventre constamment. L’Ardenne comprend des bois très profonds, les Allemands ne connaissaient pas le terrain, ils ne connaissaient rien du tout à la région, a contrario des habitants de Sy. Ils étaient incapables de retrouver qui que ce soit camouflé dans ces zones-là. »

Maison de Marie Bernard aujourd’hui
Marie Bernard tenait une pension de famille, sa maison était en hauteur et possédait une grande citerne d’eau accessible par une trappe qu’elle camouflait. « Cette cache a servi toute la guerre. Cette dame y a protégé de nombreuses personnes dont un gouverneur. Certains avaient refusé de s’inscrire dans les registres allemands les désignant comme étant Juifs ; ils n’existaient pas. D’autres étaient recherchés. »
Lorsque des troupes allemandes armées quittaient la ville de Liège par le chemin de fer en route dans la direction de la bourgade, l’information relayée de gare en gare ou par d’autres moyens organisés par les résistants parvenait jusqu’à Sy. « La seule et unique route n’était pas empruntée par des convois allemands étant trop escarpée. » Les Juifs et résistants fuyaient alors le village vers les forêts et les grottes ou rentraient dans les caches avant l’arrivée et les perquisitions des soldats allemands. « Quand les Allemands arrivaient à Sy, ils n’y trouvaient personne. »
« Il y avait un poste émetteur de la résistance à Cornevas, un lieu-dit sur les hauteurs du village. Ils ont été dénoncés, les Allemands sont venus les chercher et ils ont été tués. À l’époque, tous avaient faim et la somme proposée dans le cas d’une délation en convainquait parfois certains. »
De sa maison surplombant le village, Maurice Vrancken le regarde avec tendresse ce hameau qui s’éteint. De sa splendeur d’antan reste la nature et certaines bâtisses mais c’est la main tendue et la résistance méconnue de ses habitants qui, à jamais, lui confèrera une aura intemporelle. « Jean Blavier, poursuit-il, un patron de restaurant, m’a confié un jour « maintenant que la guerre est terminée, les Juifs que nous avions cachés reviennent nous rendre visite. Et nous sommes… libres».
Virginie Houet – pour Equality by Words
Epilogue
« Le bourreau tue toujours deux fois, la seconde fois par l’oubli » écrit de Elie Wiesel, Juif-Américain, écrivain, professeur, activiste, Prix Nobel et survivant de l’Holocauste. L’oubli, c’est ce qu’ont tenté d’éviter le 18 octobre 2002, les ministres européens de l’éducation réunis au Conseil de l’Europe lors de la conférence de Cracovie, en adoptant la Déclaration instituant le 27 janvier comme « journée internationale de la mémoire de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’humanité dans les établissements scolaires des États membres ». À cette même date, en 1945, le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz, créé par les Allemands nazis en 1940 en Pologne, était libéré par l’Armée Rouge. « Cette journée n’a pas pour but de perpétuer la mémoire de l’horreur mais d’apprendre aux élèves, aux jeunes, à être vigilants, à défendre les valeurs démocratiques et à combattre l’intolérance. » exprimèrent les ministres européens de l’éducation.
[1]https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/classification-system-in-nazi-concentration-camps 2/2