Aude Tournay Katz est thérapeute systémique, avec une longue expérience dans l’accompagnement de victimes de traumatismes sévères, notamment auprès d’enfants, d’adolescents et de familles exilées. À côté des suivis thérapeutiques, elle a aussi coordonné et animé plusieurs projets psychocorporels, avec de jeunes mamans exilées et leurs enfants, des Menas (mineurs étrangers non accompagnés) ainsi qu’avec des patients en psychiatrie.
En quoi le projet « Écritures Alchimiques » qui accompagne des personnes victimes de violence à l’écriture de leur récit de vie (autobiographique ou romancé), à leur publication et à une phase de sensibilisation du public, vous semble-t-il intéressant et bénéfique ?
Ce projet est plus qu’intéressant, il est essentiel. Depuis qu’on a découvert le PTSD (Post Traumatic Stress Syndrom) avec les soldats revenant du Vietnam, le monde scientifique sait à quel point la notion de témoignage et de reconnaissance du vécu est importante pour revenir de traumas sévères dus à des violences.
De la même manière que pour les soldats revenant de guerre, une personne victime de violences genrées aura besoin d’être reconnue comme victime d’un crime et, si possible, que le crime soit jugé pour se reconstruire comme être ayant le droit de vivre en société comme une égale et en sécurité. Elle aura également besoin pour reconstruire son intégrité psychique que quelqu’un soit témoin de son vécu, l’entende, la regarde, la lise.
Ainsi, en posant les mots sur ses maux, selon la formule consacrée, elle marquera d’une trace indélébile le monde qui, désormais, ne pourra plus ignorer ce qu’elle a subi. De plus, en recomposant son vécu pour le mettre en récit, la personne victime devient autrice, se décale par rapport à son histoire et peut se repositionner à une place de personne à part entière, en prenant de la distance par rapport aux événements, au trauma.
Se raconter comme on le choisit, partager en un lieu sécure et retourner vers les autres avec dignité sont des étapes essentielles vers la guérison du trauma.

Y a-t-il selon vous un « effet réparateur » à l’utilisation de l’écriture et de la créativité ?
Bien sûr, comme dit précédemment, relater son récit, pour qu’il puisse atteindre l’autre et vous remettre en position d’autrice de votre propre vie, a un potentiel thérapeutique évident ! Prendre soin de soi en prenant potentiellement soin des autres qui n’ont pas l’occasion de dire ou d’être entendues. Élever sa voix pour porter toutes les voix. La personne victime se répare en offrant à la société un outil possible de réparation pour les autres aussi.
Quels sont les bienfaits possibles générés par l’art en général, l’art thérapie, le mouvement pour des personnes qui ont été victimes de violence ?
Nous sommes un, esprit et corps. Les violences perpétrées sur le corps blessent notre esprit et la violence mentale subie peut avoir des effets délétères sur notre organisme. De la même façon, que notre intuition nous porte à la parole ou au mouvement, l’expression de soi, de ses émotions, de son désarroi, de sa colère peut avoir un effet guérisseur.
L’étape de la conscientisation et la compréhension mentale et corporelle de nos ressentis est indispensable, puis vient l’expression pour être reconnu(e) et se redéfinir en tant qu’être à part entière. La forme de l’expression peut être simplement d’arriver à se confier à la famille, aux amis, elle peut être de faire un spectacle de danse ou d’arriver à nouveau à exprimer son amour à un autre. Ou d’écrire un livre, ce qui est un aboutissement réunissant les bienfaits de l’expressivité à la valorisation des capacités de reconstruction.
En quoi la réalisation d’un projet d’écriture et sa concrétisation à travers la publication d’un livre vous semblent-elles positives ?
Pour ces capacités de reconstruction individuelle que je viens d’évoquer, de par le contenu qui est une mise en forme du vécu avec la distance de l’écriture, mais aussi de par la réalisation d’un objet, d’une œuvre palpable. Le livre est un objet reconnu et valorisé. Du vécu douloureux de la nouvelle autrice nait une œuvre qui a de la valeur. Sa reconstruction, à elle et à sa façon, a de la valeur.
La valeur de l’œuvre réalisée par la personne est partagée et devient valable pour les autres, non seulement pour la qualité de sa réalisation même, mais aussi par ce qu’elle peut apprendre aux autres, ce en quoi elle peut aider les autres. Ainsi par la sensibilisation, voire la militance, la personne passe du statut de victime au statut de paire aidante. Son vécu devient une « expertise » qui a toute sa place dans une société solidaire.
Aude Tournay Katz propose un accompagnement aux personnes (adultes, familles et couples) dans sa pratique privée à Uccle et Woluwe St Pierre. Dans sa boite à outils figurent la psychothérapie systémique et familiale (UCL), la danse thérapie, le massage Yoga-Thaï et la Philosophie (ULB).
aude.katz@gmail.com – tel. 0498 61 36 67